Émission de radio L'Autre Monde

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dimanche 29 mars 2009

L’engin invisible de la crise économique - partie 1 & 2

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Les 7 du Québec


Ces texte ont été publiés sur Les 7 du Québec


Auteur: Yan Barcelo

L’engin invisible de la crise économique (1)


On assigne à la crise une foule de causes : chute immobilière et implosion des prêts à risque, endettement démesuré des consommateurs et retranchement de ceux-ci, cupidité des institutions financières, salaires et bonis excessifs de leurs dirigeants, etc. Derrière toute ces causes s’en dessine une seule, centrale : les dérivés financiers présentement en mode d’implosion.

Depuis le début de la crise financière et économique, les grandes banques de la planète affichent trimestre après trimestre des pertes astronomiques et presque incompréhensibles. Ces pertes, à leur tour, engendrent une méfiance généralisée et amènent les banques à interrompre le crédit qu’elles destinent normalement aux entreprises, étranglant ainsi l’économie réelle.

Si ces pertes démesurées avaient été limitées à seulement un ou deux semestres, on peut faire l’hypothèse que la crise serait déjà en voie de guérison. Mais non, les pertes se se reproduisent à intervalles réguliers et l’économie se retrouve de plus en plus asphyxiée.

Un peu d’amplification, svp.

La question s’impose: pourquoi ces pertes astronomiques à répétition? Enlevons les produits dérivés du portrait. Supposons que les banques n’auraient eu dans leurs portefeuilles que des prêts classiques : hypothèques résidentielles et commerciales, prêts aux entreprises et aux individus. Dans un tel scénario, on peut se demander s’il y aurait même eu une crise immobilière, pour commencer; et, dans l’affirmative, on peut croire qu’elle serait probablement déjà en train de se résorber au lieu de s’intensifier.

Le discours orthodoxe refuse d’imputer aux dérivés toute causalité à la crise. On dit qu’il s’agit d’outils neutres qui peuvent être utilisés à bon ou à mauvais escient. Malheureusement, plusieurs les ont utilisés à mauvais escient.

Concédons ce point pour l’instant. (Nous y reviendrons plus loin.) Mais tout le monde reconnaît au moins que cette mauvaise utilisation des dérivés en a fait d’immenses amplificateurs de la crise. Comment cette mécanique a-t-elle opéré?

On se retrouve avec un engin découpé en trois étages. Au premier plancher, on trouve tous les prêts traditionnels, notamment les hypothèques. Au-dessus, les banques ont érigé deux étages supplémentaires qu’on appelle le domaine du crédit structuré. À l’étage 1, on trouve ces mêmes actifs (hypothèques, prêts auto, etc.), mais sous forme titrisée, c’est-à-dire qu’ils ont été vendus à divers acheteurs : investisseurs institutionnels, autres banques, fonds de couverture, etc. Puis, au-dessus de cet étage, on retrouve ces mêmes actifs titrisés dans des filiales anonymes de banques où ils sont transformés en dérivés et découpés en multiples tranches de risque, tranches auxquelles les agences de crédit comme Moody’s et Standard & Poor’s assignent des cotes hautement favorables. C’est ici qu’on trouve tous ces produits exotiques dont les acronymes épuisent les ressources de l’alphabet : CDO, MBS, CBO et, ultimement les fameux PCAA qui ont tant fait perdre d’argent à la Caisse de Dépôt.

À chaque étage correspond un niveau accru de levier. Au premier plancher, celui des prêts d’origine, une banque a par exemple avancé à un emprunteur un prêt couvrant 90% de la valeur d’une maison. Au premier étage, l’acheteur d’une hypothèque titrisée a, à son tour, acheté ce titre grâce à un emprunt couvrant 90% de son achat. Enfin, à l’étage suivant, la structure même des dérivés crée un effet de levier inhérent sans compter le fait que leur acheteur s’est, à son tour, endetté. C’est ainsi qu’à partir d’un marché hypothécaire d’une valeur d’environ 10 billions de dollars, on se retrouve avec une superstructure de dérivés dont la valeur est 10 à 20 fois celle du marché de base dont ils « dérivent ».

Or, à cause de l’effet de levier, toute perte à la base sur la valeur d’une maison ou d’un prêt est multipliée cinq, dix et même vingt fois au dernier étage. C’est tout cet édifice d’emprunt et de dettes qui est maintenant en implosion.

Assurances tous risques

Mais les choses ne se limitent pas au crédit structuré. S’ajoutent les autres pans des swaps sur taux d’intérêt, les swaps sur devises et, surtout, les swaps sur défaillance (en anglais : credit default swaps ou CDS).

Cette dernière catégorie des CDS a connu une croissance explosive depuis 2001, passant en moins de cinq à 57,3 billions $US (57,3 mille millards) au 30 juin 2008, selon la Banque des règles internationaux. Un swap sur défaillance est tout bêtement une police d’assurance sur un actif financier. Par exemple, un investisseur qui juge que ses obligations de General Motors sont trop fragiles peut acheter auprès d’institutions, l’assureur AIG notamment, une assurance contre tout défaut de paiement de la part de GM. Moyennant une prime mensuelle, AIG garantit à l’investisseur qu’il lui remboursera la valeur de son obligation si GM fait défaut.

En fait, un investisseur n’a même pas besoin de détenir des obligations de GM pour se doter d’une telle assurance. Il peut quand même se procurer cette assurance et, aussitôt après, vendre le titre de GM à découvert en bourse, essayant ainsi de faire en sorte que GM ne puisse pas rembourser ses obligations. Du coup, il pourra empocher sa police d’assurance, sans compter le profit qu’il fera avec sa vente à découvert! La logique est simple : imaginez que les gens pourraient prendre une assurance sur la vie de leurs voisins. Ce serait une invitation voilée à l’assassinat…

Cette catégorie des CDS a joué un triple rôle d’accélérateur. D’abord, munis de leurs polices d’assurance, les banquiers se sont permis les montages financiers les plus risqués. Ensuite, les CDS ont contribué à écraser les écarts de rendement entre les taux sur les bons du Trésor et les taux corporatifs, rendant ainsi le crédit de plus en plus bon marché. Troisième rôle : parce que le coût du crédit était de moins en moins cher, les banques devaient faire des prêts de plus en plus gros simplement pour maintenir leur niveau de rendement.



L’engin invisible de la crise économique (2)


L’origine du mal

Un tel argument renverse complètement l’explication orthodoxe : l’implosion immobilière a été certes le déclencheur de la crise financière et économique, comme on nous le serine partout, mais la cause de ce déclencheur tient aux dérivés. Sans la boulimie des banques pour leur création systématique d’actifs titrisés et de crédit structuré, il n’y aurait sans doute pas eu de crise immobilière. L’accès au crédit facile a incité de plus en plus de gens à payer de plus en plus cher pour des maisons de plus en plus dispendieuses. Jusqu’au jour où la bulle a éclaté.

Or, la « beauté » de l’affaire tient au fait que tous ces produits dérivés financiers exotiques (CDO, CDS, etc.) sont hors bilan. Qu’est-ce à dire? Les montagnes de dettes potentielles qu’ils portent n’apparaissent pas dans les bilans trimestriels et annuels des banques. Seuls y apparaissent les gains et les pertes générés hors bilan par ces produits. Quand tout allait bien, les profits étaient pharamineux : en 2007, les profits du secteur financier accaparaient 30% de tous les profits des entreprises américaines! Maintenant que tout va mal, les pertes sont inversement proportionnelles.

Pourquoi tous ces produits sont-ils hors bilan? Parce que la valeur initiale d’un dérivé est zéro. Il n’a aucune valeur de départ qu’on peut inscrire dans les livres d’une compagnie. Ce n’est qu’avec le passage du temps, au gré des règlements entre les deux parties signataires du contrat, que les pertes ou les gains paraissent aux livres.

Nous avons donc la réponse à la première question : pourquoi les banques affichent-elles trimestre après trimestre ces pertes gigantesques et inexplicables? Elles perdent de l’argent non seulement au premier plancher de leurs prêts et hypothèques classiques, elles en perdent encore plus aux deux étages supérieurs. Et ces deux étages supérieurs agissent comme une machine détraquée qui produit systématiquement des pertes colossales.

Et on peut supposer que ces pertes ne se rattachent pas seulement aux portefeuilles hypothécaires. Dans l’univers financier, les pertes hypothécaires ne sont qu’un seul type d’actif qui est présentement en implosion. Il y a aussi les titres boursiers, les prix du pétrole et des matières premières, les devises de plusieurs pays, etc. Tous ces actifs réels sont les bases sous-jacentes de valeurs dont des millions de dérivés « dérivent » leur valeur. Au fur et à mesure que ces valeurs s’écroulent, ces pertes se répercutent sur multiples autres catégories de dérivé.

Littéralement, nous avons affaire à un château de cartes en voie de s’écrouler. Enlevez une carte n’importe où dans un château de cartes et tout l’ensemble s’écroule. C’est – on peut le supposer – ce qui est en train de se passer.

Pourquoi dire « on peut le supposer »? Parce qu’on ne le sait pas vraiment. Étant donné que tout ceci se passe dans l’obscurité du hors bilan des banques, nous sommes condamnés à l’ignorance, aux suppositions, aux hypothèses. Y a-t-il moyen de savoir l’ampleur des pertes potentielles qu’abrite le monde des dérivés? Peut-on savoir quelle est l’ampleur des risques auxquels sont exposées les banques dans leurs portefeuilles de dérivés? La réponse est non. On est totalement à la merci des révélations qu’elles nous font trimestre après trimestre.

On peut seulement contempler, ébahis, la taille de la superstructure des dérivés, soit 683 billions de valeur notionnelle au 30 juin 2008 selon la Banque des règlements internationaux (environ 12 fois le PIB mondial). Et se demander avec appréhension : l’ensemble de ce château de cartes va-t-il s’écrouler? Si c’est le cas, il n’y aura jamais assez d’argent sur cette planète pour combler le trou qui en résultera.

Plusieurs spécialistes du domaine des dérivés nous disent que nous arrivons probablement au bout des pertes liés aux dérivés. Les plus grosses radiations ont maintenant été faites, pensent-ils. Espérons ardemment qu’ils ont raison. Mais ce n’est pas certain. Car maintenant, quelques autres grosses cartes dans le château sont en danger de s’écrouler.

À ce moment, la plus à risque de ces cartes est celle des hypothèques commerciales. C’est une conséquence logique de la chute précédente de l’immobilier résidentiel. À cause de l’implosion de ce secteur et de ses conséquences négatives pour l’économie, les consommateurs se sont repliés. De plus, des communautés entières sont dévitalisées par des maisons abandonnées. Tout ceci se répercute maintenant sur les entreprises de détail qui, faute de consommateurs, sont de plus en plus nombreuses à fermer leurs portes et à faire défaut sur le paiement de leurs hypothèques. Déjà, c’est une carte qui chambranle dangereusement.

Si cette carte s’écroule, nous aurons à faire à une nouvelle ronde de pertes épiques dans les banques.

Et quand cette carte aura tombé, laquelle suivra, écrasée sous la pression des précédentes? Une hypothèse qui a cours : on se demande si les pays, qui ont empilé des déficits monstrueux pour venir au secours de leurs secteurs financiers respectifs, seront en mesure de financer leurs dettes dans les marchés nationaux et internationaux. Déjà, l’Allemagne a connu deux ratés dans sa tentative d’émettre ses obligations gouvernementales…

On verra en temps et lieu quelles quantités de pertes additionnelles l’engin des dérivés va déglutir si d’autres cartes du château s’écroulent. Mais une chose est certaine : oubliez toutes les explications causales de la crise (bulle immobilière crevée, retrait des consommateurs, etc.). La crise actuelle n’a qu’une cause : l’engin détraqué des produits financiers dérivés. Il faudra bien un jour attaquer directement le monstre au lieu de l’alimenter systématiquement comme le font à l’heure les gouvernements.


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