Gaza : d'une prison à un zoo
Gaza : d'une prison à un zoo
lundi 4 février 2008
Darryl Li
La métaphore qui présente la bande de Gaza comme la prison la plus grande du monde est malheureusement dépassée. Israël traite maintenant
Le contrôle « humanitaire » de Gaza par Israël.
La gestion d'une prison vise à entraver et à réprimer la liberté ; dans un zoo, la question est de savoir comment garder en vie ceux qu'on maintient à l'intérieur, dans le souci de la façon dont ceux, à l'extérieur, vont pouvoir les regarder. La question de la liberté n'est jamais soulevée. La crise de l'électricité actuelle aide, pour ainsi dire, à illustrer ce changement politique.
La quasi-totalité de l'énergie de Gaza est fournie par Israël, à la fois directement depuis son propre réseau électrique - Israël se paie sur les revenus fiscaux qu'il collecte au nom de l'Autorité nationale palestinienne (ANP) -, et indirectement avec les livraisons de carburant par la compagnie israélienne Dor Alon à l'unique centrale électrique de Gaza, payées par l'Union européenne.
Gaza connaît une crise d'énergie électrique depuis juin 2006, quand les hélicoptères de combat israéliens ont lancé leurs missiles sur les transformateurs de la centrale électrique, suite à la capture d'un soldat israélien, la rendant inutilisable (1). Israël a par la suite entravé toutes possibilités de réparation en bloquant ou retardant l'entrée des pièces de rechange et des matériels dans
Aggravant ce problème, l'intention annoncée par le cabinet de sécurité israélien, le 19 septembre, de couper l'approvisionnement en électricité et en carburant de Gaza. Le 29 novembre 2007,
L'interaction entre l'Etat et
Bombardement de la centrale électrique de Gaza, par Israël, le 28 juin 2006.
La notion d'« humanitarisme essentiel »
Cette réorientation exigeait d'abord de balayer la base juridique, d'où l'absence de toute référence dans la décision de
Au lieu d'un quelconque cadre juridique, l'Etat a proposé - et
Cette logique reflète le changement radical de la politique de blocus d'Israël depuis l'été 2007 : elle passe de la fermeture fréquente et paralysante à un blocus illimité, sauf pour les « articles humanitaires essentiels ». Israël change : avant il voulait punir l'économie de Gaza, maintenant il décide que l'économie de Gaza est un luxe superflu (bien qu'Israël autorise encore l'entrée de marchandises à Gaza quand les producteurs israéliens ont besoin d'écouler des surplus). Cette politique a contraint 90% des industries privées de Gaza à la fermeture, au gel de tous les chantiers de construction, et a fait monter le chômage à des niveaux records (6). Environ 80% de la population dépendent aujourd'hui de l'aide alimentaire, et les 20 autres pour cent vivent principalement sur les revenus des fonctionnaires, des salariés des ONG ou de ceux des organisations internationales, c'est-à-dire de gens qui dépendent économiquement de la bonne volonté extérieure d'une façon indirecte mais néanmoins réelle.
En pratique, la distinction pure et simple entre besoins vitaux et luxe est souvent impossible à faire. Le réseau électrique fatigué de Gaza peut assurer, et assure, la répartition entre les secteurs, mais les hôpitaux et les pompes pour les eaux usées sont trop dispersés pour être alimentés en électricité séparément du reste de la population (7). Le fait qu'une autorisation doive être obtenue par ceux qui sont dans un état de santé « critique » et qui ont besoin de traitements médicaux à l'extérieur de Gaza - une règle approuvée par
La notion d' « humanitarisme essentiel » (on ne sait pas trop ce qui constitue l'humanitaire « non essentiel ») réduit les besoins, les aspirations et les droits de un million quatre cent mille humains à un exercice pour calculer le nombre de calories, de mégawatts et autres, d'unités unidimensionnelle, qui déterminent la distance qui sépare de la mort. Elle détourne l'attention de la destruction - et même elle la légitime - des capacités et des ressources intérieures de Gaza : son économie, ses institutions et son infrastructure. Et même si cette notion est mise en ouvre de bonne foi, et avec les meilleures intentions, elle ne promet rien d'autre que de transformer tous les Gazaouis, sans exception, en mendiants - ou plutôt en animaux bien nourris -, tributaires de l'argent international et des autorisations israéliennes.
Si les efforts passés d'Israël pour limiter les termes du débat aboutissent, la communauté internationale, les plaideurs locaux, les « dirigeants » palestiniens, et d'autres, pourraient bientôt dépenser l'essentiel de leur énergie à mendier, ici une citerne de carburant en plus, là quelques mégawatts d'électricité supplémentaires. Cependant, pour se confronter à la consolidation du régime de zoo, il faut une approche plus large.
A bien réfléchir, Gaza semble être moins un zoo qu'un enclos pour animaux, dans l'arrière-cour d'un grand manoir, à savoir l'Etat d'Israël. La bande de Gaza ne constitue pas un monde spécifique à part, mais un endroit annexe où un quart de toute la population palestinienne vit sous le contrôle d'Israël.
Les Gazaouis sont au plus bas degré de l'échelle d'une hiérarchie dans l'exclusion juridique qui couvre la moitié de la population non juive d'Israël/Palestine, laquelle se décompose en citoyens d'Israël, résidents de Jérusalem-Est et en Cisjordaniens (vivant soit sous l'administration de l'Autorité nationale palestinienne, soit sous la juridiction militaire israélienne directe). Les lendemains de Gaza sont inextricablement liés à ceux d'Israël, et le présent de Gaza fournit l'exemple le plus urgent de la nécessité de définir un système politique plus juste et un cadre juridique à l'Etat qui, de fait, a étendu son territoire depuis le fleuve jusqu'à la mer, depuis 4 décennies.
Darril Li est titulaire d'un doctorat en Anthropologie et d'Etudes sur le Moyen-Orient à l'université d'Harvard et d'un doctorat de Droit à la faculté de droit de Yale. Il est aussi consultant pour Trocaire, groupement catholique irlandais pour le développement outremer.
L'essentiel de cet article a été écrit à Gaza, entre les coupures de courant ; les opinions exprimées dans cet essai lui sont personnelles. Il a été écrit avant la décision de
· 1) Pour une vue d'ensemble sur les effets de l'attaque et juger de sa légalité, voir « Acte de vengeance : le bombardement de la centrale électrique de Gaza par Israël et ses effets » (B'Tselem, septembre 2006).
· 2) « Rapport sur la situation humanitaire à Gaza : les pénuries d'énergie dans la bande de Gaza » (pdf) (OCHA-TPO, 8 janvier 2008).
· 3) HCJ 9132/07, Jaber al-Basyouni Ahmed c/Premier ministre : les demandeurs à la procédure sont : Adalah (centre juridique pour les droits de la minorité arabe en Israël), Gisha (centre juridique pour la liberté de mouvement), HaMoked (centre pour la défense de l'individu), PHR (Médecins pour les droits humains - Israël), PCHR (centre palestinien pour les droits humains), le Comité public contre la torture en Israël, le Programme de psychiatrie de la communauté de Gaza, B'Tselem (centre d'information israélien pour les droits humains dans les territoire occupés), Al-Haq et Al Mezan (centres pour les droits humains).
· 4) Selon Yoav Gallant, chef du Commandement Sud de l'armée israélienne, une alternative aux coupures de courant directes a aussi été examinée mais rejetée en raison de l'opposition de la société d'Electricité d'Israël, probablement pour des raisons contractuelles et financières. « Acte de Vengeance » p. 27.
· 5) HCJ 9132/07, Jaber al-Basyouni Ahmed c/Premier ministre, § I.4.
· 6) « Fermeture de la bande de Gaza : conséquences économiques et humanitaires » (pdf) (OCHA-TPO, 13 décembre 2007).
· 7) Pièce jointe A, attachée aux conclusions déposées par Usama Dabbour, directeur des relations extérieures de
· 8) HCJ 5429/07, PHR c/Ministre de
Article présenté avec beaucoup d'intérêt par Laïla El-Haddad sur son blog, le 2 février 2008 : « Un excellent article que celui du grand ami Darry Li, après sa dernière visite en Gaza, qui explique la nouvelle politique israélienne, inhumaine, de "l'humanitarisme essentiel" ».
Texte en anglais diffusé par Gaza.ch ; texte initial en arabe sur Adalah's Newsletter, volume 44, janvier 2008 - traduction de l'anglais : JPP
http://www.robertbibeau.ca/palestine.html
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